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Le visage est ce qui nous interdit de tuer


Ode à la vie



Elle...C'est un joyeux poème nommée Hanane, elle embrasse toutes les rimes et pétrit de son verbe ensoleillé toutes les formes étriquées de l'expression. Les yeux qui pétillent, une petite trentaine, elle s'installe pour me conter son histoire sans papiers, mais avec une mémoire bien ancrée.

Nous ne sommes pas à Calais, mais nous prendrons un vol pour Tanger avant de faire escale à Chalon-sur-Saône pour une durée indéterminée.


C'est à la pointe nord du Maroc qu' Hanane rejoint la communauté des êtres humaines, au milieu des années 80.

C'est la petite dernière d'une famille de 5 enfants, on lui a attribué une date de naissance lorsque le doute de la mortalité infantile fût levé...En effet, au moins une dizaine d'enfants ont péris à l'issue des nombreuses grossesses de sa mère.

Ses parents étaient des gens très pauvres, résidant dans une maison où le vent jouait souvent sa petite musique par les trous qui peuplaient leur précaire habitat. Des pièces communes partagées avec d'autres familles, et une grande salle réservée à la sienne. Dans l'assiette : le plus souvent du pain et du thé ! Mais comme la solidarité n'est pas une vertu réservée aux bons peuples européens, qu'ils oublient un peu par ailleurs, chaque enfant est très vite aller travailler pour subvenir aux besoins de tous, surtout après le décès de leur père.

Ce dernier avait été enrôlé très jeune dans l'armée espagnole, qu'il a par la suite déserté pour revenir vers son Maroc natal. Il a ensuite vendu des fruits et légumes sur les marchés jusqu'à ce qu'un diabète mal soigné finisse par l'emporter. Le frère aîné a pris un temps la place du patriarche, essayant de mener tant bien que mal, la barque familiale. Il a finit ses jours en prison pour des raisons qui demeurent plus ou moins obscures...en relation avec une dette importante.

Quand à Hanane, elle a été à l'école jusqu'à 16 ans, puis elle a travaillé comme secrétaire d'un ingénieur d'état pendant une petite année. Elle avait peu d'amis, « nous vivions entre nous, notre maison était toujours fermée ». Son lien le plus important était et reste celui qu'elle entretient avec sa sœur aînée Naïma, qui a épousé un routier français qui étaient régulièrement de passage dans le pays pour des raisons liées à son emploi.

De cette union franco-marocaine naîtront deux garçons : Karim en 1995, rejoint par Abdel en 2001.

Lorsque la mère d'Hanane et Naïma décède en 1999, elle confie à cette dernière le soin de s'occuper de sa cadette. Hanane est alors de plus en plus présente et investie dans la vie de sa sœur, surtout auprès des enfants.

Les visites du « bon monsieur français » au domicile conjugal étant plutôt sporadiques, c'est dans un monde presque exclusivement féminin que sont éduqués les deux enfants.

Cette parenthèse de confort matériel consécutive au fait que Monsieur subvient aux besoins de la famille perdure jusqu'en 2005, où celui-ci cesse son activité professionnelle à l'internationale.

Il propose avec insistance à son épouse et à Hanane de venir vivre en France, et promet à la cadette de lui obtenir des papiers français...


Et là...c'est la désillusion ! L'abus de confiance par excellence....

Pourtant dans les yeux d'Hanane : ni colère, ni plainte, ni désir de vengeance ne viennent assiéger ses deux perles rutilantes noire ébène !


Avant l'expiration du visa d'Hanane, Monsieur gère tout l'aspect administratif, pécuniaire, et social de la famille (courses, inscriptions à l'école, activités...). Naïma et Hanane s'occupent du foyer et des enfants.

Puis, par un petit tour de manège jusqu'à la préfecture, le magicien pose un lapin devant les obligations légales requises pour l'obtention des papiers d'Hanane. En effet, Monsieur doit la déclarer comme étant son employeur et lui verser un salaire pendant un temps défini, si Hanane veut avoir le droit de continuer à résider sur le sol français.

Monsieur dans sa grande bonté, crachant sur ses engagements préalables, refuse ses conditions ; et choisit d'incarner la version moderne du salaud en quittant le domicile sans donner de préavis, abandonnant femmes et enfants.

Naïma qui barbote quelques mots de français et a le droit de travailler, prend son courage à deux mains et fini par décrocher des contrats de femme de ménage. Mais comme elle ne maîtrise pas notre langue et a une méconnaissance de notre tissus administratif, elle finit par s'engluer dans nos dédales de démarches obligatoires (Déclaration impôt, CAF,CPAM, mutuelle, etc...). Son salaire étant minuscule pour subvenir aux besoins d'une famille comptant quatre personnes : elle finit par s'endetter.

Pendant ce temps, dix longues années, Hanane se cloître en HLM de haute sécurité...ne pas se montrer, raser les murs en silence, surtout ne pas exister, disparaître pour être pas être séparer des siens !

Une torture, dix ans de cabane, pour une très jeune femme qui s'est fait berner par un pauvre type.

Et oui...Hanane et Naïma ont passé tout ce temps à croire qu'il était strictement impossible qu' Hanane puisse obtenir des papiers. Elles n'ont rien dit, rien demander, par peur et par méconnaissance du droit d'asile de notre pays, qui ne s'est pas vu assoupli ces derniers temps.

D'ailleurs en France : qui connaît vraiment l'ensemble de ses droits ?


C'est par une coïncidence heureuse que la peine infligée à Hanane prend fin.

En effet, une mesure sociale est mise en œuvre à l'intention de Naïma afin de l'aider à l'apurement de sa dette et à la gestion de son budget. Au bout de quelques mois d'accompagnement à domicile, et grâce à une relation de confiance bien installée avec le travailleur social : Naïma décide d'expliquer plus justement ces dépenses alimentaires en dévoilant l'existence de sa sœur.


C'est le début d'une reconquête de la vie...Être reconnue, considérée !

Un hébergement en famille pour aider à sortir de la précarité et retrouver un brin de liberté, l'estime de soi, de l'autonomie...

Tout ce que bon nombre d'être humain ont la chance d'avoir sans en avoir conscience.

Oh bien sûr ! Pas de miracle ! Il faudra prouver encore que dix ans se sont écoulés depuis son arrivée sur le sol de l'hexagone pour obtenir enfin le droit de séjourner encore parmi les siens et parmi nous.

Elle les espère, elle les prie...ses petits papiers.

L'urgence pour elle : c'est de travailler, de se former, d'apprendre, d'aider, d'être indépendante !

On est loin, très loin, à des années lumières même, des clichés de l'immigré économique fainéant voulant vivre au crochet d'une société auquel il n'adhérerait pas moralement.

Hanane est pour moi une sorte de David des temps modernes, qui n'a de cesse de démonter les murs et barbelés qui veulent séparer nos valeurs communes. Bien sûr l'Europe de Frontex et de la finance est un Goliath presque dématérialisé, difficilement palpable, mais aux conséquences aussi réelles que catastrophiques.

Face à lui : le désespoir, le nihilisme, ou simplement la foi en la vie.

Hanane, elle croit ! Elle croit en son dieu, mais aussi en l'humain.

Elle aime à se questionner, et pioche dans sa culture maghrébine autant que dans la culture française pour bâtir quelque chose de bon et de respectueux pour elle, et pour les autres.

« Le travail : c'est une protection, c'est la fierté !...c'est comme cela que j'ai été éduquée... ». Le RSA et les autres aides peuvent être parfois nécessaires, mais il lui tarde d'obtenir le droit de faire autrement.

« J'ai l'impression de m'endetter ! » dit-elle.

Dans l'attente du Graal «Carte de séjour », elle est bénévole dans une association qui a pour but d'aider les plus démunis. Elle s'y rend plusieurs fois par semaine et apprend beaucoup auprès et avec ces personnes.

Elle tâche également de perfectionner son français afin de pouvoir par la suite suivre une formation dans le domaine du service à la personne.

De façon plus intime, mais toujours pudique, elle parle de son idée du couple qui a beaucoup évoluée. Ni conservatrice, ni libérale, mais surprenante : partage des tâches, équité dans l'éducation des enfants, travail pour chacun, respect de la croyance et de l'athéisme sans ériger l'un ou l'autre comme une vérité fondamentale.

Hanane tricote tranquillement les mailles d'une vie qui ne renie pas sa culture originelle et emprunte à celle qui l'a accueillie les valeurs qu'elles trouvent intelligentes, compatibles avec les siennes.

L'intégration : ce n'est pas une théorie, c'est ce mouvement de découverte mutuelle qu'elle produit tous les jours et il ne tient qu'à nous d'en faire de même.

Même les plus frileux d'entre nous sont le fruit de cette multiplicité de cultures. D'ailleurs, nous devons tant de choses à la culture arabo-musulmane qu'il serait très curieux de ne s'en souvenir que lors d'un match de foot ou lors de la vente d'armes à certains pays que je ne nommerai pas. De plus, ce commerce, personne...même les plus racistes de nos villes et nos campagnes, n'en perçoit le moindre bénéfice. Par contre de belles traces de la culture d'Hanane subsiste ça et là dans notre patrimoine : architecture, philosophie et mathématique, entre autres...

Quand je la vois, je ne vois que ce qu'elle peut nous offrir et pas ce qu'elle pourrait nous prendre !

Fondamentalement, je retrouve l'essentiel d'une rencontre quelle qu'elle soit : le visage qui vient dire l'humanité commune !


« Le visage est ce qui nous interdit de tuer. Le visage est signification, et signification sans contexte. » Disait Emmanuel Levinas.


D'ailleurs, nous pouvons parfois nous sentir plus proche d'un être dont la culture paraît très différente...que de notre propre voisin à la culture soit disant si proche de la nôtre.



TUE-MOUCHE

Barb'art. Tue-mouche.
Cris SanFran. Gégène. 
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